Procès d'Andy : "Ses proches veulent un motif. Mais en a-t-il un ?"A 16 ans,il a tué ses parents et ses frères.
Un cas de parricide "exceptionnel",selon l'expert psychiatre Daniel Zagury. Interview.
La maison d'Albitreccia,en Corse-du-Sud,où vivait Andy et sa famille,juste après les faits,en août 2009. "Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça",a déclaré Andy,20 ans,à l'ouverture de son procès en appel,à huis clos devant la cour d'assises des mineurs des Bouches-du-Rhône,jeudi 5 décembre.
Dans la nuit du 11 au 12 août 2009,à 16 ans,il a abattu au fusil à pompe son père,sa mère,et ses deux petits frères jumeaux âgés de 10 ans.
Il a ensuite vidé le coffre-fort familial,quitté le domicile,et s'est taillé les veines avant d'appeler des amis à l'aide via son téléphone portable.
Il a notamment raconté avoir suivi "une irrésistible pulsion".
Après des avis contradictoires d'experts psychiatres,le jeune homme,hospitalisé en unité pour malades difficiles,a été déclaré en première instance "irresponsable pour un trouble mental ayant aboli le discernement au moment des actes".
En quoi cette affaire est-elle "exceptionnelle" ?
Quels sont les caractéristiques du parricide ? "Le Nouvel Observateur" a questionné Daniel Zagury,expert psychiatre près la cour d'appel de Paris.
Vous avez étudié plusieurs cas de parricides.
Quel regard portez-vous sur celui-ci ?L'affaire d'Andy est une affaire exceptionnelle dans la mesure où il ne s'agit pas seulement d'un parricide mais d'un double parricide élargi à la fratrie.
On est donc confrontés à l'exception des exceptions.
S'il faut toujours les prendre avec beaucoup de prudence,les chiffres que l'on voit circuler font état en moyenne d'une trentaine de parricides (patricide ou matricide) chaque année en France,et de deux à trois doubles parricides.
Le double parricide étant déjà très rare,le double parricide élargi l'est d'autant plus,et les cas connus relèvent pratiquement tous d'affaires historiques qui ont marqué l'opinion publique.Comme celui de Pierre Rivière en son temps,qui sera ensuite analysé par Michel Foucault.
En 1835,ce jeune paysan normand de 20 ans a tué à coups de serpe sa mère,son père et son frère.
Quels principaux éléments caractérisent le parricide ?Il s'agit dans la grande majorité des cas de crimes psychotiques,c'est-à-dire pathologiques et relevant de la maladie mentale,du délire,de l'envahissement délirant,de la perte des repères habituels,etc.
Dans l'immense majorité des cas,ces délires sont soit un mode d'entrée dans la schizophrénie,soit une pathologie psychotique moins caractéristique mais néanmoins présente.
Mais il y a des exceptions.
Comme le jeune Alexi,16 ans,condamné pour avoir tué six personnes dans les Yvelines en 1995 : son père,sa belle-mère,ses grands-parents et des amis de ses grands-parents,tout en épargnant sa sœur.
Le drame s'était déroulé dans une atmosphère de confinement,une maison avec des armes partout (son père était collectionneur).
Adolescent humilié et dans une relation très violente avec son père,il avait tout à coup explosé.
Ce n'était pas psychotique.
A l'instar des cas de père tyran martyrisant la mère et dont le fils veut la défendre,ou bien de mère exhibant sa déchéance que le fils finit par tuer pour maintenir une idéalisation maternelle.
Si ces cas ne sont pas tous l’expression d’une schizophrénie,ils relèvent le plus souvent quand même de l'expression de la maladie,et sont caractérisés par la soudaineté,la brutalité,et l'acharnement.
Le célèbre psychiatre Paul Guiraud avait décrit à la fin des années 1920 ce qu'il avait appelé le crime immotivé.
Non parce qu'il n'est pas motivé mais du fait de l'incroyable discordance entre les motivations pouvant être données et la réalité du massacre.
Qu'est-ce qui vous a particulièrement marqué dans le cas d'Andy ?Je ne suis pas dans le dossier et préfère donc rester prudent.
J'ai toutefois été frappé par la pauvreté des raisons qu'il a pu donner.
Il a dit,en revanche,que c'était comme s'il était devenu un autre ou quelque chose d'approchant,qu'il fallait le faire,en référence à une sorte d'impérativité,une force venant de l'extérieur qui l'aurait poussé vers une action imposée.
Il décrit un état de dépersonnalisation quand on ne ressent plus son corps comme avant,de déréalisation quand autour de soi les choses paraissent étranges,différentes.
L'évolution ultérieure qui n'a pas été celle d'une schizophrénie point sur lequel tout le monde semble s'accorder me paraît également intéressante dans cette affaire.
Il peut arriver que l'évolution psychotique ne se confirme pas,et que des aménagements défensifs permettent au sujet de se rétablir.
Il semblerait que ce cela soit le cas de ce garçon qui n'est plus actuellement sous traitement médicamenteux qui suit des cours...
La question à présent est la suivante : confirme-t-on qu'au moment des faits une pathologie a complètement obscurci sa conscience ? A priori,et avec toute la prudence nécessaire,l'hypothèse pathologique me semble la plus plausible.
Des membres de la famille d'Andy s'étonnent justement d'apprendre que le jeune homme,hospitalisé en UMD (unité pour malades difficiles),ne soit plus sous traitement,puisse sortir...
Sa tante a notamment confié à "Europe 1" qu'elle espère que le procès apportera des explications.
Les parties civiles,les proches,veulent un motif,des explications.
Si toutefois on ne parvenait pas à trouver de pathologie,il faudrait tout de même livrer une explication,un éclairage,un mobile.
En l'état actuel,ce jeune homme ne semble pas présenter de pathologie psychiatrique avérée,mais cela ne signifie pas que c'était le cas lors des faits.
Il est à craindre,s'il est confirmé qu'il s'agit d'un acte pathologique,que les proches d'Andy n'aient jamais ce motif car le jeune homme,lui-même,ne l'a pas.
C'est du moins ce qui est arrivé dans un certain nombre de cas.
Pour qu'un sujet puisse dire pourquoi il est passé à l'acte,encore faut-il qu'il le sache.
le nouvel observateur